Série « Personnage-image », 2009.
5 montages photographiques, impression pigmentaire Rag bright white sur papier mat 310 g. Dim : 20 x 30 cm. Edition de 5 + 3 exemplaires d’artiste.
Série accompagnée d’un texte (ci-dessous) et publiée dans la revue Pylône #7 « Liberté Chérie », Bruxelles, 2010.
Personnage-image, revue Pylône, 2009.
ça y est j’avais enfin réussi à sortir de l’image, m’échapper, me libérer mentalement et physiquement de cet espace contraint ! ah, liberté chérie !
L’affaire n’avait pourtant pas été simple car avec les images, on se retrouve toujours un peu dedans et dehors à la fois, coincé entre la deuxième et la troisième dimension…
Quand l’image colle parfaitement à la peau, il n’y a pas de souci à se faire, c’est même un habit plutôt confortable; paré de soi-même, on arbore ses couleurs et ses formes, prononce ses tons et nuances, diffuse son aura, positif comme une publicité ou un personnage politique représentant les couleurs de son parti. Les anglais appelle ça « face value », valeur littérale peut-être.
Entre l’image et soi, Il faut en réalité prévoir quelques ouvertures qui laissent transpirer son authentique sujet, quelques zones floues; une petite maladresse suffit à révéler un once de face cachée. Si l’image est trop impeccable et que rien ne s’en évapore, ça fait vraiment papier glacé, et on se gèle sur place, figé comme un cliché. Du coup, petit à petit on est obligé de jouer la comédie de son propre rôle au risque de devenir une caricature de soi-même; c’est fatiguant; alors on se ride, se fripe, se froisse à un rythme bien plus rapide que la biologie car le mensonge, ça use. Il faut perpétuellement opérer, segmenter, ré-agencer sa propre histoire pour qu’elle se tienne et soit fidèle à l’image. Ce n’est plus l’image qui montre le réel, mais le réel qui s’aliène à l’image.
Si l’image n’est pas assez en mouvement, n’ouvre pas assez de pistes d’investigation, n’engage qu’une lecture linéaire, elle ne peut qu’enfermer dans un discours, une posture contraignante et épuisante. Pièce autant que piège à conviction, si aucune brèche d’incertitude ne s’y infiltre, elle n’aura de sens qu’à un instant donné, à l’apogée de son actualité.
Entre son image et soi, doit se jouer un espace de négociation, un flottement, une liberté d’interprétation et de projection qui lui redonne une troisième dimension paradoxale. C’est dans un système vivant que doivent s’engouffrer l’intelligence et l’imaginaire, au risque de s’y perdre ou de s’isoler dans l’incompréhension. Contrairement au portrait qui invite à la reconnaissance de caractéristiques immanentes, penser son image (et ainsi son identité) de manière composite, en organisme vivant, c’est autant se construire que se connaître. N’est-ce pas l’unique liberté possible, devenir quelqu’un d’autre, s’affranchir des identifiants, des codes, des images ? Semer le trouble, jouer sur plusieurs tableaux, déjouer les hiérarchies, s’inventer un monde, n’est-ce pas le meilleur moyen de révéler dans toute sa complexité une manière de penser ? La liberté de donner un visage à son cerveau.