Série « Forêt Urbaine », 2009.
5 montages photographiques, impression pigmentaire Rag bright white sur papier mat 310 g. Dim : h20 x 30 cm.
Edition de 5 + 3 exemplaires d’artiste.
Série accompagnée d’un texte (ci-dessous) et publiée dans la revue online Tales Magazine #1 « Forrest », Paris, 2009.
« Forêt urbaine », Tales Magazine #1, 2009.
En relisant Le Baron Perché d’Italo Calvino, on se rappelle qu’autrefois, la forêt n’était pas ce lieu de bien-être et de poésie auquel nous pensons aujourd’hui. C’était la part du territoire que l’homme ne pouvait contrôler, où survivaient toutes sortes de faune humaine, communautés marginales, miséreux, renégats, pirates ou troupes de théâtre. Anarchique et sauvage, l’organisation humaine s’y inventait dans le prolongement des lois de l’écosystème naturel, sans pitié ni morale, à l’inverse de la ville, territoire conquis, construit, pensé et administré. La forêt était la « zone du dehors » que d’autres ont imaginé ailleurs et autrement, à d’autres époques. Alain Damasio la ré-invente encore une fois dans son livre éponyme sur un astéroïde satellite de Saturne, comme les hippies danois l’ont espéré à Christiania, territoire resté plus de trente ans autonome au cœur de la ville de Copenhague.
Mais les choses changent, les expériences alternatives s’institutionnalisent, la nature globale est en voie d’être gouvernée, et les lieux de la marginalité se déplacent.
N’est-ce pas aux confins de la jungle urbaine, devenue si complexe et difficile à saisir, que s’inventent d’autres formes de vie ? Les grandes métropoles du monde de Paris à Mexico, de Shanghai à Los Angeles, sont devenues de fantastiques écosystèmes en perpétuelle mutation, de véritables forêts urbaines en clair-obscur dont on ne peut démêler les lianes de la communication et des échanges entremêlés. Écologie et économie s’enchevêtrent ; espaces intérieurs et extérieurs se dévorent mutuellement ; le paysage se stratifie et les distances se tordent au gré des facilités de transports.
Impossible de saisir la réalité urbaine, impossible de lire les écrans de la ville sans y projeter nos mille fragments de connaissance comme nos imaginaires les plus débridés. Les calques montrent, cachent, trompent. Notre perception est mise à l’épreuve comme si nous étions sans cesse devant l’arbre qui cache la forêt, désorienté, privé de perspective.
Dans ce monde inversé, les immeubles de la ville et les images qui les recouvrent, se muent en flore de synthèse, tandis que les éléments circulants, véhicules et objets en tout genre deviennent faune artificielle; l’homme, jamais tout à fait adapté, y poursuit son aventure.
Et puisque tout renversement a son miroir, dans notre vocabulaire contemporain la forêt boisée devient alors étrangement conceptuelle et abstraite, comme un paysage mental où l’esprit vient se reposer, promener son imaginaire et projeter ses visions, qu’elles soient artistiques, fictives ou scientifiques.
Elle n’est plus une fourmilière compacte, organique et innervée, mais un espace lisse, métaphysique, et paradoxalement affranchi des lois de la nature.