Série « Mission photo-thérapique », Revue Nuke, 2005

Série « Mission Photo-thérapique », 2005.

 

Ensemble de 140 montages photographiques issus d’un protocole expérimental fictionnel. Dimensions variables.

 

Sélection de montages accompagnée d’un texte (ci-dessous) et disséminés dans la revue Nuke #2 « Mission », 2005.

 

 

« Mission photo-thérapique », Revue Nuke, Paris, 2005.

 

La cellule de crise de La Petite Industrie de l’Image Sensorielle ® était dans son état de stress maximum. Les jours précédents, elle avait été obligée de prendre la dure décision d’autoriser l’infiltration d’agents supra-intelligents dans ses banques photographiques, y compris celles restées invisibles à ce jour. Cette fois-ci, le motif de l’opération n’était pas une expérience artistique dont elle prenait librement l’initiative; non, c’était une astreinte venue d’ailleurs, dans un climat de guerre chimique informationnelle où toute donnée, devenue susceptible de dégénérer en germe viral, devait être vérifiée puis éventuellement traitée. Quand la mesure sécuritaire d’aseptisation du monde du signe avait été prise, la cellule de crise avait heureusement eu le réflexe de négocier qu’elle resterait maîtresse du traitement final des données avariées dont elle pourrait garder la propriété; anyway, qui en aurait voulu, à part d’autres artistes ou des terroristes du monde parallèle du signe ?

Dans un premier temps, le plus dur était de dompter ces agents supra-intelligents auxquels étaient donnés divers types de missions d’analyse de données assez précises, mais dont les prises d’autonomies pouvaient vite devenir irrationnelles, voire stupides. La stratégie retenue consistait à les faire voyager dans les méandres du stock d’images de La Petite Industrie de l’Image Sensorielle ® munis d’une grille de paramètres qui leur servirait de carte. En scannant ainsi l’ensemble du territoire-image, ils pourraient en détecter les cellules supposées cancéreuses. Les paramètres retenus étaient ceux que La Petite Industrie de l’Image Sensorielle ® avait pris l’habitude d’utiliser dans ses expérimentations artistiques de laboratoire. Si l’archivage fondamental se faisait par date et lieu de naissance, le laboratoire avait ensuite mis au point une grille complexe qui permettait de lire l’information sous 4 dimensions distinctes : l’image comme mode d’écriture traduisible par le texte (mise en tension de vraies et fausses histoires), l’image comme mode d’écriture traduisible dans d’autres registres de signes abstraits (couleur, sigle, titre, musicalité, formules mathématique et scientifique, motif), l’image comme entité physique qui fait sujet, l’image comme monde paradoxal, non-euclidien et sans horloge (monde-image / monde-valeur). Face à la complexité de ces paramètres dont seul l’esprit humain était réellement capable de faire la synthèse somme toute très esthétique, il était certain que les agents supra-intelligents s’épuiseraient tranquillement à la tâche. Telle était la ruse mise au point par la cellule de crise : donner une carte illisible sans un minimum de discernement ni boussole. Pendant ce temps, la cellule de crise du laboratoire tremblait dans l’attente du diagnostic. La population de ses 3000 sujets subirait-elle une purge ethnique ? sortirait-elle saine et sauve de l’épreuve ? L’angoisse d’une perte de contrôle viciait l’air de l’atelier.

Après quelques longues heures d’infiltration, les agents supra-intelligents furent enfin capables de livrer le résultat de la première étape de leur mission : au total, 21 images suspectes avaient été détectées sur l’ensemble des banques. Le rapport indiquait les motifs de censure : détérioration des couleurs susceptibles de devenir toxiques, piquage proliférant (salpêtre photographique), ambiguïté du focus, déliquescence de la résolution, cellules suspectes, etc.

Ensuite venaient les prescriptions pour leur traitement qui donnaient le choix entre plusieurs méthodes que la cellule de crise pourrait combiner à sa guise :

– Réduction de la résolution de l’image permettant de noyer les cellules suspectes,

– Amputation des parties détériorées afin de stopper le processus de gangrène,

– Effacement avec réinscription possible sur les zones à dommage superficiel,

– Dénaturer le principe actif du sujet pour les récalcitrants.

Soulagement, décontraction, tout cela n’était pas si monstrueux; tout cela était même plutôt inspirant; la cellule de crise était maintenant au bord de l’euphorie et voyait déjà comment tordre ces indications barbares en protocole artistique.

Catégorie
Photomontages, Publications