« Commerce avec l’image », 2005

« Commerce avec l’image », 2005.

 

Montage photographique, impression pigmentaire Rag bright white sur papier mat 310 g. Dim : 20 x 30 cm. Edition de 5 + 3 exemplaires d’artiste.

 

Montage accompagné d’un texte (ci-dessous) imaginé pour le projet de publication « +/- L’Épicerie » (non-réalisé), curator : Jean-Louis Chapuis, Paris, 2005.

 

 

« Commerce avec l’image », publication de L’épicerie (curator : Jean-Louis Chapuis), Janvier 2005

 

Me voilà face à cette vitrine-image qui me laisse perplexe. Non ce n’est pas une traditionnelle épicerie; je me rend bien compte que ce qui se passe-là est autre que la banale réalité d’un quartier commerçant. Tout cela a bien été fabriqué, et je suis même surprise de n’avoir pas tout de suite saisi la supercherie spatiale qui est pourtant le fruit d’une manipulation technique de l’image au fond assez simple. A première vue, cette image est bien plate. Si j’avais envie de la traduire par le texte, je peinerais à y trouver une forme de narration. Par sa composition multiple en patchwork, cette image ne raconte pas d’histoire; elle n’est ni pièce à conviction ni piège à conviction. Elle n’est ni fictionnelle ni documentaire. Puisqu’il ne s’agit pas d’une vitrine en particulier mais d’un ensemble de vitrines agglomérées, je ne peux que me contenter de penser « vitrine en général » et non cette vitrine en particulier qui m’inviterait à imaginer une vraie ou une fausse histoire pour lui trouver un sens.
Non, le sens de cette image est sa valeur de cas général, comme une formule scientifique qui permettrait d’abstraire du réel ses lois fondamentales. Cette image a une valeur générique de figure type, comme le sigle d’une force éclaire une dynamique générale. La vitrine comme élément de la ville générique. Et plus que l’idée de la vitrine en générale, c’est le champ de force de la vitrine que cette image me livre comme modèle : deviner le contenu, reconnaître des étiquettes, évaluer les prix et les rapports qualité/prix, chercher du regard l’arrière de la vitrine pour discerner la taille de la boutique, ce qu’il s’y passe, vérifier si un vendeur me guette déjà, etc. Les hésitations de mon regard guident mon raisonnement. J’achète – j’achète pas, j’y crois – j’y crois pas; tant qu’il y a hésitation, mon cerveau travaille et élabore des hypothèses de raisonnement.
Et puis à force d’explorer du regard cette stratification visuelle, je me dis que, finalement, cette image n’est pas si plate. Je distingue deux dynamiques : celle qui vient vers moi, qui sort de la membrane-image et m’impose une présence, et celle qui m’appelle à l’intérieur de l’image, comme une fenêtre vous fait plonger dans un paysage.
Ce qui vient vers moi c’est d’abord la matérialité de l’image dans son ensemble, c’est-à-dire, le papier sur lequel elle est imprimée. Là encore rien de très particulier, le format média standard confirme la dimension générique évoquée. Mais sa surface s’est depuis tout à l’heure creusée d’un relief que mon cerveau et mes yeux ont silencieusement comploté. Ce qui sort de la membrane, c’est d’abord l’axe central, la colonne de pierre où cette petite vitrine en bois a été collée et qui s’impose comme un pivot visuel. Les deux vitrines qui le jouxtent au milieu sont symétriques, de même que les deux supérieures.
Mais lorsqu’on s’éloigne visuellement de cet axe, un mouvement se dessine. A droite, l’homme qui se tient à la porte sort vers moi, tandis que l’autre image, au bord de gauche, génère une rotation autour de l’axe et m’invite à entrer dans son espace. C’est la quatrième dimension de l’image, son « espace-image », que l’oeil tente de reconstruire mentalement.
Non, il n’y a pas de cohérence physique; les autres morceaux d’images que je vois derrière la vitrine et qui devraient prolonger le creux par lequel mes yeux sont entrés ne respectent pas les lois euclidiennes d’un espace physique. Le collage opéré rompt les proportions; les petites vitrines du haut montrent des objets hétérogènes, trop grands ou trop petits. Les étiquettes des produits affichent des langues différentes.
Autre creux de l’image, celui qu’ouvrent les reflets des images de gauche qui montrent la rue et les voitures comme une cavité qui se serait aplatie dans les images de droite.

L’espace-image ainsi créé ressemble plus aux pays des merveilles où les lois de la rationalité sont foncièrement mises à l’épreuve. En effet, cette épicerie artistique n’est pas banale et invite à une rude négociation !

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